TRIBUNE REPORTERRE

TRIBUNE REPORTERRE

Par Deep Green Resistance France (DGR France)

En septembre dernier, DGR a proposé une tribune adressée au magazine Reporterre qui a été refusée, nous en publions le contenu ainsi que la réponse du magazine, et enfin notre réponse à leur refus :

Depuis plusieurs mois nombre d’individus, quelques organisations écologistes et même des élus (1) évoquent de plus en plus souvent des actions plus « radicales » telles que les blocages ou le sabotage. Beaucoup d’entre elles ont évolué vers un positionnement plus offensif parce qu’elles ont eu l’intelligence de se poser et de regarder la situation en face. Certains de ces militants se sont épuisés, parfois durant des années, à lutter pacifiquement, y compris en siégeant au sein des institutions pour finalement comprendre que l’essentiel des décisions avaient déjà été prises, qu’ils ne pouvaient au mieux rectifier les grands projets que sur des points de détail, que changer les choses de l’intérieur était une vaine illusion, que leur pacifisme parfois dogmatique n’empêchait aucune destruction, qu’ils ne menaient après tout qu’un combat d’arrière-garde pour préserver, protéger, empêcher ou minimiser les dévastations et pollutions,

Alors bien sûr le récent succès électoral écologiste suscite un nouvel élan rempli d’espoir. Les nouveaux et nouvelles maires écologistes des grandes villes vont prendre des initiatives environnementales et sociales destinées à corriger plusieurs décennies de gestion urbaine hasardeuse et trop souvent déficiente. Ils devront cependant se conformer à l’autoritarisme sanitaire, aux conservatismes, aux normes législatives et réglementaires qui s’appliquent à eux mais dont les préfet.es et des entreprises privées sont exonérés (2), notamment celles qui développent les réseaux téléphoniques, les nouvelles techniques de surveillance et de coercition.

Ils devront apprendre les compromis, bientôt suivis par les compromissions. Cette victoire électorale va à nouveau faire perdre du temps et de l’énergie aux écologistes qui espèrent transformer le territoire en appliquant des mesures dites écologiques, telles que la transition énergétique (les éoliennes, le photovoltaïque, l’hydroélectricité avec ses barrages livrés au secteur privé international, le nucléaire vendu comme « bon pour le climat »), le développement durable, le transport « vert » (voitures, vélos et trottinettes électriques qui justifient les EPR, l’extractivisme et l’esclavage des enfants dans les mines, qui seront recyclables mais pas recyclées) (3).

Ces écologistes partagent avec les capitalistes la croyance que le salut proviendra des nouvelles technologies. Quelle désillusion lorsqu’ils prendront enfin conscience que leur engagement aura fait d’eux les serviteurs des intérêts des grands groupes industriels et financiers, des multinationales, des fonds de pension, des hyper-riches (4) ! Que leur ambition ne leur aura permis que de s’instaurer en gestionnaires de ce désastre perpétuel qu’engendre et dont se nourrit le capitalisme, ainsi que le dénoncent Jaime Semprun et René Riesel dans « Catastrophisme, admission du désastre et soumission durable », Tomjo dans « L’Enfer Vert » ou le collectif Pièces et Main d’œuvre dans ses nombreuses publications. Mais la stratégie dilatoire capitaliste aura efficacement fonctionné, une fois de plus.

Au lieu d’attendre qu’une nouvelle couche d’amertume s’ajoute à toutes les autres, notre collectif est l’un des seuls à évoquer les blocages et les sabotages d’infrastructures matérielles comme l’un des moyens d’actions politiques envisageables.

Lorsqu’un régime politique ne tient aucun compte, ou si peu, de l’avis d’une grande majorité de citoyens sur des sujets aussi importants que le déploiement de la 5G (5), sur les pratiques abjectes infligées aux animaux, qu’ils soient sauvages ou élevés par milliards pour être consommés, agissements indignes d’un peuple qui se proclame civilisé (6), sur des Grands projets inutiles et surtout destructeurs qui ne cessent d’artificialiser de nouvelles terres au mépris des zones naturelles et protégées transformant la France en gigantesque zone d’activités (7), et sur bien d’autres thèmes encore, nous ne pouvons qu’utiliser les moyens de l’action directe pour faire entendre notre profond désaccord.

Les Gilets Jaunes ont à cet égard secoué une France trop longtemps paralysée par les mirages de cette société industrielle. La seule réponse qu’ils ont obtenue a été un déchaînement inouï de la violence d’État. Lorsque le principe de réalité commence à contrarier les affaires des technocrates hors-sol et de leurs complices du grand patronat, ils lâchent la bride à la force brutale, rappelant ainsi que leur pouvoir est également basé sur les armes. Contrairement à ce qu’ils veulent nous faire croire, la vitrine cassée d’une banque ne vaudra jamais une main, un œil, une vie.

Les blocages et le sabotage ne sont en aucun cas une fin en soi, mais doivent devenir une stratégie complémentaire avec d’autres actions, comme les suffragettes ont si bien réussi à le faire, si les institutions continuent à multiplier les décisions inverses et absurdes au seul profit d’intérêts particuliers.

Notre collectif est donc ouvert aux invitations, aux rencontres, aux discussions portant sur cette thématique de lutte politique. Lancer la notion de blocage ou de sabotage de manière un peu désespérée, comme une bouteille à la mer, ne suffit pas. Des agriculteurs et des transporteurs routiers l’ont bien compris, leurs actions réussissent à chaque fois à faire plier le gouvernement. Alors pourquoi pas les écologistes ?

PS : notre collectif n’organise, ne participe ou ne planifie aucune action de sabotage. Toute provocation ou invitation en ce sens sera refusée.

Ce texte a été volontairement laissé en écriture non inclusive, car c’est bel et bien le patriarcat qui dirige cette entreprise de destruction.

  1. https://terra-incognita.io/blog/
  2. https://reporterre.net/Le-gouvernement-demolit-le-droit-de-l-environnement
  3. https://reporterre.net/Ne-nous-parlez-plus-de-transition-ecologique
  4. https://www.revolutionpermanente.fr/Ou-va-EELV-A-l-universite-du-MEDEF-Yannick-Jadot-defend-le-capitalisme-europeen
  5. https://reporterre.net/L-etau-du-tout-numerique-se-resserre-luttons-contre-la-5G
  6. ZOOS : Le cauchemar de la vie en captivité (Derrick Jensen)
  7. https://reporterre.net/La-carte-des-luttes-contre-les-grands-projets-inutiles

Réponse de Reporterre :

Bonjour,

J’ai bien reçu votre nouvelle version et vous en remercie.

Malheureusement, elle n’a pas été retenue par le comité de rédaction de
Reporterre pour publication.

Notamment en raison de « la réflexion moralisatrice sur les maires
écolos, qui prend une grande partie de l’article et l’affaiblit en lui
donnant une tonalité très jugeante ».

Mes collègues regrettent aussi que le corps du papier ne mette pas plus
en avant l’histoire des stratégies de blocage et de sabotage, la
philosophie et le comment concrets, etc. Comme nous en avions parlé au
téléphone – vous avez simplement rajouté quelques lignes sur les
suffragettes, et on reste sur sa faim.

Commentaires de DGR sur le refus de publication dans Reporterre :

L’essentiel du refus de publication de notre tribune provient d’une soi-disant « réflexion moralisatrice sur les maires écolos ». Notre analyse n’a rien de moralisateur, car faire la morale c’est « réprimander quelqu‘un parce que ses actes ou ses paroles sont contraires à la morale ». Et la morale revient à enseigner la distinction entre le bien et le mal, en se rapportant aux mœurs.

Nous constatons dans ce discours une inversion de langage : c’est bel et bien la presse, et surtout la presse mainstream (écrite et télévisuelle, entre les mains de l’oligarchie) qui ne cesse de dicter, d’asséner, de marteler à longueur de temps sa vision dominante et moralisatrice de la société à l’intention des individus. Au point que même des journaux plus indépendants n’ont même plus suffisamment de liberté de penser autrement, même s’ils affirment le contraire. C’est ainsi que critiquer les nouveaux maires écolos devient une cause de non publication d’une tribune dont la responsabilité des termes nous incombe. Une telle critique est politiquement tellement incorrecte qu’elle ne correspond pas à leur perception de ce qui est « bien ».

Pourtant aucun de ces maires ne remet en question la civilisation industrielle, aucun de ces maires n’est suffisamment « radical » pour s’attaquer aux véritables causes qui mettent en péril ce qui reste des milieux naturels. Par contre ils appliquent la politique de « verdissement » des villes, notamment en favorisant les mesures préconisées par les institutions nationales et internationales (Banque Mondiale, Forum de Davos, etc), ce qui permet aux grandes entreprises et aux multinationales de continuer tranquillement à s’enrichir, à détruire, à exploiter la terre et les êtres, humains ou non. On sait que les voitures, les trottinettes et vélos électriques n’ont rien d’écologique, on sait que les nouveaux éco-quartiers artificialisent de nouvelles terres, on sait que la plupart des déchets bien que recyclables pour certains, ne sont en réalité pas recyclés, etc, etc.

Nous disons que le travail, au demeurant sincère, de ces maires contribue à faire fonctionner le système capitaliste et la société libérale, et participe à diffuser la croyance au mythe de la fuite en avant du progrès technologique. Et nous pensons que les maires écologistes les plus sincères s’apercevront dans quelques années qu’ils auront été les dupes, voire les serviteurs des grands groupes industriels et financiers.

Or, le simple fait d’exprimer notre analyse politique est suffisamment malvenu pour que nous soyons qualifiés de « moralisateurs ». Sachez, mesdames et messieurs les journalistes non moralisateurs, que nous avons également moralisé sur la COP21, présentée à l’époque comme une grande victoire de l’écologie. Nous avons moralisé à propos de la Convention Citoyenne pour le Climat. Nous moralisons sur bien d’autres sujets, si bien que nous sommes qualifiés d’écologistes radicaux (et donc dangereux pour la société, alors que la société industrielle et capitaliste n’est absolument pas dangereuse, quant à elle), et bien souvent la réalité objective rattrape nos analyses. Nous savons de quelle manière fonctionne ce système, nous savons que plus longtemps ce système va durer, plus il aura de risques de rendre cette planète complètement stérile. Mais vous, les moralisateurs de la presse, il semble qu’une véritable barrière cognitive vous empêche de considérer l’évolution de cette civilisation.

A vous lire nous serions moralisateurs pour avoir commis le crime de critiquer l’écologie mainstream incarnée par ses élus, mais ici c’est précisément vous qui prenez une posture jugeante et moralisatrice à l’égard d’une critique qui vous dérange car elle compromet votre stratégie consistant à vouloir ménager la chèvre et le chou. Pour notre part, nous ne faisons qu’énoncer les conséquences logiques du comportement de ces élus, entre autres l’accélération de la destruction des milieux naturels qu’entraînera et qu’entraîne déjà la 4ème prétendue « révolution » industrielle dont ils se font les promoteurs. Il ne s’agit donc pas de faire la morale en dénonçant une attitude contraire aux bonnes mœurs mais bien de dénoncer le suivi de ces mœurs comme étant la plus sûre voie vers la perpétuation du désastre que constitue l’écologie mainstream.

Nous avons accepté, après un échange avec l’une de vos journalistes, de modifier notre premier texte. Le second texte que nous avons proposé n’a pas été jugé digne d’être publié. Dont acte. Nous n’acceptons cependant pas que l’on guide notre écriture pour correspondre à ce que vous voulez qu’on écrive, puisque que vous tendez à proposer un véritable canevas de texte.

Nous avons décidé de publier sur notre site cette tribune, la réponse de Reporterre et nos commentaires, afin de montrer à nos lecteurs les mécanismes de fonctionnement qui permettent à l’information d’être ou non diffusée. Nous critiquons par exemple certains écologistes qui tiennent absolument à se faire connaître et à faire connaître leurs positions, et qui s’empressent de participer à toute intervention médiatique où ils sont invités sachant d’avance que leur discours sera « bridé », auto-censuré, ou avec des orientations ne remettant aucunement le système en question. Ce jeu où l’on flatte une notoriété, tout en édulcorant et en transformant le message est une des caractéristiques du fonctionnement actuel du système médiatique, et nous le déplorons.

On nous reproche de ne pas avoir assez développé l’histoire des stratégies de blocage et de sabotage, et de ne pas avoir donné suffisamment d’exemples. Or il s’agissait dans cette tribune d’appeler d’autres collectifs et organisations à discuter avec nous de cette thématique, devenue d’actualité du fait de la surdité, de l’autoritarisme grandissant, du cheminement croissant vers la tyrannie de l’État et de ses institutions.

Développer l’aspect historique des blocages et des sabotages devrait plutôt faire l’objet d’un article entier, et non pas d’une tribune nécessairement courte.

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